
© Kunsthalle Fridericianum
Un musée d’art contemporain africain nomade, interactif et collaboratif. L’intégralité des pays du monde représentés sur une surface unique. Des réflexions poétiques et artistiques se baladant dans les rues de Cotonou au Bénin. Vastes programmes.
Meschac Gaba est Béninois. Il dit qu’il ne connaissait pas « l’existence de l’art contemporain » avant de commencer à travailler à Cotonou avec des billets de banque rendus obsolètes par l’inflation, créant des œuvres politiques et directes et se faisant ainsi connaître à l’étranger.
En résidence à la Rijksakademie d’Amsterdam en 1996-97, Meschac Gaba y développe un projet qui l’occupera les cinq années suivantes. Désabusé et ironique vis-à-vis de la représentation de l’art contemporain africain dans les musées occidentaux, il pose les premières planches d’une œuvre à taille humaine, mouvante, mutante, amusante, collaborative et interactive : son propre Musée de l’Art Contemporain Africain (cf. le site du projet).
Les 12 salles de ce drôle de musée sont exposées jusqu’au 22 septembre prochain à la Tate Modern à Londres, qui a acquis l’année dernière cette œuvre un poil galère à stocker… « It is temporary and mutable, a conceptual space more than a physical one, a provocation to the Western art establishment not only to attend to contemporary African art, but to question why the boundaries existed in the first place. », annonce la Tate Modern.

Mail & Guardian sud africain, 12-18 juillet 2013
Point de sculptures « artistiques », « ethnographiques », « traditionnelles » et « africaines » ici. Les salles de ce musée, remplies d’humour parfois noir, impliquent la plupart du temps la participation du visiteur et/ou celle d’autres artistes. Le public joue du piano dans la Salle de Musique, construit son propre musée avec des cubes en bois d’enfants dans la Salle d’Architecture, déguste des plats préparés par d’autres artistes africains au Restaurant du Musée, pouvait acheter des œuvres de ces autres artistes à la Boutique du Musée avant que la Tate Modern ne fasse l’acquisition de cette œuvre et donc n’accepte plus la vente de certaines de ses parties (dommage), se fait lire les cartes par une voyante professionnelle dans la Salle Art et Religion, etc.
Un espace touche-à-tout, largement autobiographique, surréaliste et bricolé à la main, où les rôles sont inversés, où il ne s’agit pas simplement de regarder et de lire des informations produites par d’autres, mais d’y prendre part, d’y mettre son grain de sel, de repartir avec son pin’s (comme lors de la première présentation de Draft Room, en 1997 à la Rijksakademie).
Comme le soulève le journaliste Jonathan Jones : « Museums can be autobiographies, or novels. The Museum of Contemporary African Art is a bit of both. But it is also a protest. Where is the African art of today in European and American museums? The Art and Religion Room juxtaposes reproductions of « classic » African religious sculpture with tacky Christian and Buddhist artefacts. The stress that museums place on African ceremonial art of the past, this implies, is a bit like judging modern European art by kitsch replicas of Raphael Madonnas. »
Aujourd’hui enfermé dans un musée, le Musée de l’Art Contemporain Africain entend pourtant en ouvrir les portes, laisser l’art vivre sa vie dans la vraie vie. A la Documenta XI, à Kassel, Meschac Gaba avait présenté la dernière partie de ce projet, Humanist Space, où il remettait des vélos dorés aux visiteurs, libres alors de les mener où ils le souhaitaient.
L’art dans la rue et dans la vie est l’un des thèmes centraux de Meschac Gaba, qui le souligne dans des travaux bien plus récents, présentés en ce moment à la Stevenson Gallery, à Cape Town. L’exposition, intitulée Le Monde, regroupe notamment deux œuvres présentées à la dernière Biennale du Bénin.


On y voit ainsi deux immenses drapeaux, représentant l’intégralité des drapeaux africains convergeant vers le centre pour l’un, et les drapeaux de tous les pays du monde regroupés selon le même principe pour l’autre. L’Etat se fond dans l’International, dans cet espace qui les regroupe tous, au centre de ces nouveaux drapeaux assez idéalistes, un peu ironiques, assez esthétiques, un peu amusants.

Est aussi présentée à la Stevenson Gallery une partie de son projet de Bibliothèque Roulante, conçue pour la Biennale à Cotonou, ville déclarée par Meschac Gaba « Musée de l’Art et de la Vie Active ». Il a notamment remplacé les plaques d’immatriculation des taxi-motos aux tshirts jaunes qui sillonnent la ville par des citations d’artistes, de commissaires et d’acteurs de la scène artistique internationale, tentant de créer un dialogue géant dans la ville, pendant toute la durée de la Biennale, sur le thème de l’art.
Celui qui s’est marié dans un musée avec la commissaire Alexandra van Dongen puis l’a documenté et présenté dans la Salle de Mariage de son Musée de l’Art Contemporain Africain dit que « l’art, c’est la vie ». Soit. On ne le contredira pas.