Les premiers mois, c’était terrible. Je trépignais, je m’agitais, je changeais de position en permanence mais sans réellement pouvoir le faire, trop serrée entre mes deux voisins, j’avais chaud, puis froid, mal à la tête, aux jambes. Je m’ennuyais sec. J’étais à la fois hyperactive et absolument inactive.
Et puis un jour, assise dans un wagon du train qui relie Abidjan en Côte d’Ivoire à Ouagadougou au Burkina Faso, j’ai compris. J’ai médité à l’africaine pour la première fois. Depuis, je n’arrête plus.
Ce jour-là, j’ai souhaité très très fort être aussi impassible que les gens autour de moi, malgré les 48 heures de voyage très inconfortables, les fauteuils en bois, les odeurs obscures, la chaleur plombante, les cafards en balade et les hurlements de la télévision.
Alors j’ai imité mes voisins de wagon. Je me suis assise bien droite, j’ai décroisé mes jambes puis j’ai fermé les yeux, ou plutôt j’ai demi-fermé les yeux, comme le font les gens ici. Je me suis forcée à rester comme ça longtemps, très longtemps, probablement une heure ou deux. Et c’est long, une heure ou deux comme ça. Les premières dizaines de minutes ont été difficiles, mais progressivement les sons, les vibrations, les odeurs se sont effacés. Mes pensées construites se sont évaporées.
C’était comme si tout allait soudainement mieux, comme si rien n’était réellement pénible, comme si le temps s’était remis en marche en s’arrêtant.
Depuis 14 mois, je voyage sur les routes, les rails et les lacs africains. Après l’Afrique de l’Ouest et de l’Est, me voici au Sud du continent. Je voyage en transports en commun et principalement en bus, mini bus ou autres taxis collectifs. Ces trajets sont longs et inconfortables. Très longs et très inconfortables.
Pourtant, pays après pays, j’observe le même comportement chez mes voisins d’un jour. Cette extraordinaire patiente silencieuse, ces yeux lointains et calmes, ces corps immobiles malgré les nids de poule géants. Il ne s’agit pas de dormir cependant. Les gens ne dorment pas, ou rarement, ils sont juste un peu plus loin.
En Guinée, les transports collectifs sont de vieilles Peugeots poétiquement appelées « neuf places ». Il m’est arrivé de faire 8 heures de trajets avec 15 autres personnes dans la voiture. Plus un monticule de sacs, cageots et poulets, vaillamment accrochés sur le toit de la non moins vaillante Peugeot. Ces 15 personnes avaient l’air tranquilles, les yeux mi-clos et le dos bien droit. Une maman a mis sa toute petite fille sur mes genoux – elle ne pouvait tenir nulle part ailleurs -, puis elle est retournée, sans un mot, à sa paisible contemplation. Ou méditation. Soit.
L’hyperactive parisienne que je suis a donc appris la médiation africaine dans les transports. Le matin d’un long trajet ou quand je m’assieds dans un bus surbondé, je me surprends dorénavant à me réjouir de ces longues heures d’inaction solitaire qui m’attendent.
Bon, parfois, je faiblis un peu. Comme le jour où après une douzaine d’heures passés l’un à côté de l’autre dans un bus branlant, un vieux monsieur s’est tourné vers moi et m’a glissé, malicieux, « Aïe aïe aïe, j’en ai sacrément marre, là. » J’avoue m’être alors sentie un peu moins seule !
Tu obersves bien. J’adore ton blogue! Peut-être, une fois ton voyage terminé, tu devrais commencer a décrir le quotidien européen avec ta nouvelle perspective africaine. Parabens Margaux. Une bise de Maputo. Astrid
J’adore les yeux « demi-fermés »: c’est tellement ca!!! Dans les transports, à la banque, partout! Une narration vivante et réaliste comme d’hab, merci de nous faire partager tout ca Margaux, tu mets de jolis mots sur nombre de situations vecues au quotidien 😉